Approche A : intégration des BSE dans la comptabilité analytique de gestion

 

« Pour l’approche A, nous nous sommes demandés comment développer la Comptabilité de Gestion Environnementale (CGE) de manière à y intégrer des indicateurs de BSE. La CGE peut être définie comme l’identification,  la collecte, l’analyse et l’exploitation de deux types d’informations pour la prise de décision interne (UNDSD 2001 ; Savage & Jasch, 2005), à savoir (a) des informations monétaires sur les coûts, bénéfices et économies de nature environnementale et (b) des données quantitatives sur les flux (utilisation, devenir) d’énergie,  d’eaux et de matières. La CGE peut être particulièrement utile pour des initiatives volontaires dédiées à l’environnement,  comme par exemple la mise en oeuvre de systèmes de gestion environnementale (groupe, sites),  l’éco-conception de produits ou encore la gestion écologique de la production et de la chaîne logistique.

 

Pour atteindre notre objectif, plusieurs études de cas ont été lancées en étroite collaboration avec des entreprises (Kenzo - LVMH, INDDIGO, SAF, Séché Environnement,  Solabia, Veolia Eau). Nous avons par exemple essayé d’identifier et de quantifier les interactions d’une station d’épuration à Berlin avec les BSE (Gonzalez & Houdet, 2009)[1]. Ces études de cas démontrent qu’il est possible :

 

  1. De classifier les entrées et sorties de matières issues de la biodiversité en fonction de leur degré de transformation anthropique[2] et selon que leur utilisation génère ou non des entrées (produits) ou sorties monétaires (coûts / dépenses internes) ; ce qui constitue une méthodologie simple pour suivre et quantifier la dépendance des organisations aux matières issues de la biodiversité. Cela permet en outre aux entreprises de définir une stratégie de mitigation des impacts négatifs adaptée à chaque type de matière issue de la biodiversité: par exemple, la gestion des impacts liés à l’extraction de ressources fossiles non renouvelables n’est pas la même que celle liée aux impacts des systèmes de production impliquant des organismes vivants (activités agricoles).
  2. D’évaluer quantitativement les bénéfices (ou dommages) écosystémiques que l’entreprise dérive des différents SE avec lesquels elle est en interaction (dépendances, impacts), c’est-à-dire quantifier les dépenses et produits découlant des arbitrages en matière de SE qui conditionnent son modèle économique. Par exemple, pour se satisfaire les critères / atteindre les objectifs contractuels de performance, la direction de BWB (Berliner Wasser Betriebe) se préoccupe actuellement essentiellement : (a) de la gestion des SE dérivés de l’activité des microorganismes présents au sein de ses stations d’épuration, c’est-à-dire celui de la purification des eaux usées[3] et celui de la digestion des boues4 ; et (b) de la quantité, du débit et des contenus des eaux usées entrant dans les stations d’épuration, ceux-ci étant étroitement influencés par divers SE (cycle de l’eau, régulation du climat) au sein des zones urbaines et périurbaines auxquelles sont rattachées (Gonzalez & Houdet, 2009). En outre, pour permettre aux entreprises de quantifier précisément leurs arbitrages en matière de BSE, il serait nécessaire d’établir une cartographie spatiotemporelle détaillée des SE : sources, trajectoires, bénéficiaires et modes d’appropriation (Houdet et al., 2009a ; Houdet 2010).

 

En d’autres termes, ce travail dépasse l’analyse qualitative des SE impactés ou utilisés par l’entreprise. Parce que les bénéfices dérivés des SE sont appropriés localement et qu’ils varient selon les besoins et attentes (souvent contradictoires) de multiples usagers (Ruhl et al., 2007), il nous faut souligner l’importance de quantifier les espèces, groupes fonctionnels et processus écosystémiques qui conditionnent les SE influençant les processus de production, la maîtrise des coûts et la génération de revenus. En permettant aux entreprises de comprendre quels aspects des BSE elles contrôlent, valorisent ou éliminent, cette approche écosystémique de la CGE pourraient activement contribuer à la promotion de stratégies et pratiques organisationnelles favorables à la biodiversité.

 

Cela pourrait se traduire par la contractualisation de l’entretien ou de la restauration de SE, à condition que celle-ci ne favorise pas un SE en particulier (comme la séquestration du CO2) aux dépens de la biodiversité et d’autres SE moins lucratifs (Houdet et al., 2009b). Dans le cas de BWB, le défi consisterait à changer les termes contractuels d’un partenariat public - privé. Les négociations entre les différentes parties prenantes, notamment avec la collectivité locale (Land de Berlin), pourraient donner lieu à :

  • L’intégration d’objectifs de performance quantifiés en matière de BSE dans le contrat ;
  • La prescription d’outils et de méthodes favorables à la biodiversité pour la gestion (a) des infrastructures de collecte et de traitement des eaux usées et (b) des actifs fonciers afférents ;
  • Un programme d’investissement fondé sur la restauration écologique des réseaux de collecte / voies d’eaux à l’aide des techniques d’ingénierie écologique5 ayant un impact positif à la fois sur la biodiversité et la qualité de l’eau (Gonzalez & Houdet, 2009).

 

Toutefois, en raison de la nature volontaire de toute démarche de CGE permettant de comptabiliser les BSE à des fins internes, des outils complémentaires seraient nécessaires pour que les entreprises prennent systématiquement en compte les BSE dans leurs processus décisionnels, de gouvernance et d’évaluation de la performance: rendre compte aux parties prenantes externes des dépendances et impacts en matière de BSE (approche B) relève de cette démarche.



[1]Cette installation industrielle appartient à Berliner Wasser Betriebe (BWB), une entreprise publique de collecte et de traitement des eaux usées

détenue à 49,9 % par le consortium RWE-Veolia Eau.

[2]Houdet et al. (2009a, p. 11) ont identifié différentes catégories de matières issues de la biodiversité : organismes vivants, matières biologiques

non transformées, matières biologiques transformées, matières issues de ressources biologiques fossiles transformées (non renouvelables).

 

[3]3 40 % des frais totaux d’exploitation pour la station d’épuration de Wassmannsdorf.

4 60 % des frais totaux d’exploitation sont liés à la gestion des boues pour la station d’épuration de Wassmannsdorf, dont une majeure partie a

trait au processus de digestion par des micro-organismes.